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LAURENT LACOTTE : ANTI CHEF D’ŒUVRE - PORTRAIT D'ARTISTE / 2018

© Salim Santa Lucia

Laurent Lacotte arpente son environnement proche et les territoires où il est invité et c’est au gré de ces déplacements que les pistes surgissent. L’errance comme socle : un paradoxe à l’image de cette pratique prolixe, douce et abrasive, où l’œuvre vient se nicher dans les creux du visible.
C’est une couverture de survie qu’il dépose sur les épaules de la statue de la liberté de Nice (Guard). Ce sont des pigeons picorant les graines bleues blanches et rouges qui composent un drapeau français sur le bitume (Banquet). C’est un socle blanc déposé sur la plage dans l’attente que le soleil vienne s’y poser en se couchant (Endless show). Les œuvres de Laurent Lacotte sont autant de gestes feutrés : des déplacements, des prélèvements, des agencements fragiles toujours sur le point d’être engloutis par le fracas du monde. Ce sont comme des petites bulles d’air, des failles qui ouvrent l’espace d’une incursion de pensée, d’une montée d’émotion

Les affiches blanches où dans l’angle est estampillé « encre papier colle » le suivent un peu partout. Cet objet qui s’auto décrit dans son plus simple appareil est comme l’étendard d’un mode opératoire extérieur fait de détournements. L’adoption d’une position méta teintée de dérision est un levier qu’il active volontiers, regard poétique et bienveillant qui n’en est pas moins acéré. Sa production embrasse un large spectre de sujets, dont nombre sont éminemment politiques, ancrés dans une actualité brulante dont il ne craint pas de manier les braises.L’absurdité et la brutalité ordinaires sont aussi soulignées par des œuvres qui sont autant de refus face au silence, à l’impuissance et à la saturation ambiante. Avec Bas-relief, il déplace les pierres anti sdf dans des espaces d’art et les met là où les spectateurs aiment se détendre, et lorsqu’il dépose une pancarte en carton au sol avec son numéro de téléphone à côté d’une soucoupe destinée à la petite monnaie (Office), c’est à nouveau un système d’exclusion qui est désigné. La question de l’identité nationale se drape de modestie lorsque « La France » apparaît sur le panneau signalétique d’un lieu-dit (La France). Track aborde la liberté de circuler et les enjeux liés à l’immigration, avec son lé de wax étendu à cheval sur une barrière, sous un vol d’oiseaux migrateurs. Tout se resserre autour de signes synthétiques dont l’impact produit une réelle persistance. L’artiste s’empare aussi de sujets plus intimes, comme cette pierre tombale gravée du seul mot « nous » évoquant le deuil amoureux (Nous), ou les enjeux d’égo, que ce déambulateur campé devant son reflet ne manque pas de railler (Narcisse). A l’image de cette dernière, les titres ont valeur d’éclairage pour certaines images dont le sens n’apparaît pas immédiatement. Résilience désigne ainsi ce rameau feuillu surgi inopinément d’une souche tronçonnée par la voierie avant déracinement.

Au-delà de la part suggestive des images, c’est sa pratique, sa façon de faire de l’art qui est politique. Laurent Lacotte revendique une démarche qui doit prendre place au cœur de la cité, de la vie sociale. L’artiste est un être perméable qui se doit d’être réactif, constitué par des compétences avant tout humaines : l’attention, la
curiosité, la précaution sont les bases d’une vision sociale horizontale dans laquelle il s’inscrit avec responsabilité et humilité.
Aussi, les questions liées au statut de l’artiste sont centrales au sens d’une mise en pratique qui commence par éprouver la collaboration, la collectivité, la co-création. Avec nombre d’autres artistes, mais pas seulement. Laurent Lacotte procède par conversations lorsqu’il effectue des résidences ou des ateliers participatifs et transforme la moindre contrainte en occasion de transmission. Aussi lorsqu’il est invité à présenter un solo show au Phakt de Rennes, ce sont finalement des riverains qu’il choisit d’inviter pour des co-créations. Il leur a alors consacré ce que nous avons tous de plus précieux : son temps. Ces cinq individus sont ainsi devenus chacun le co-auteur d’une œuvre réaliséedans la ville à l’issue de moments d’errance partagée. Cette proposition permet de passer au crible un certain nombre d’enjeux, dont celui lié à la signature et à la propriété intellectuelle (qui n’est pas des moindre) ou celui tout aussi coriace des préjugés croisés entre les artistes et les non-artistes. Mais la question endémique que cette expérience aborde est celle de la légitimité : qui a le droit de se présenter au monde comme un artiste et en vertu de quoi ?

Laurent Lacotte a répondu le plus simplement du monde en formulant ces invitations. Il a construit un cadre sécurisé, spatio-temporel et juridique. Il a suggéré d’inventer une règle ou un principe ensemble. Il a ouvert une brèche dans l’opacité du réel.
Son acte artistique a été d’offrir une permission. La permission pour l’autre d’envisager l’acte artistique. La possibilité pour l’autre de s’autoriser à pénétrer sur un terrain de jeu vertigineux car inconnu, mais soigneusement balisé. C’est par cette lorgnette qu’il faut observer ce travail pour être en mesure d’en percevoir la générosité.
Dans un même mouvement, Laurent Lacotte interroge ce qui fait une œuvre. La plupart de ses pièces sont visibles sur une donnée très courte dans l’espace réel, puis sous la forme de photos. Pour le spectateur il n’est pas forcément évident de distinguer ce qu’il a fait en dehors du cliché, et c’est ce flou même qui devient opérant. Le statut de sa production a longtemps été en question. Œuvre, document ou archive : pourquoi trancher ? Il visite et revisite sa production dans un mouvement perpétuel où la même pièce a de multiples occurrences matérielles ou virtuelles, modifiée, augmentée au fil du temps. L’impermanence s’applique aussi ici, l’achèvement n’est plus envisageable en soi, au bénéfice de versions temporaires. Et à la question liée au droit de s’approprier ce qui n’est pas à soi Laurent Lacotte répond en évoquant la plus grande difficulté encore qu’il y a à s’approprier ce qui est déjà à soi.

Le travail de Laurent Lacotte met en jeu une temporalité croisée où l’éphémère répond à la pérennité. Sa liberté s’inscrit dans une volonté radicale d’horizontalité
artistique et sociale. L’œuvre est partout, dans des formes changeantes et affranchies au maximum des contraintes dogmatiques. La nécessité qui fait loi est celle d’une pratique qui est toujours prétexte à changer et à échanger, à générer du mouvement, de l’espace pour penser et créer du lien. Face à la figure du chef d’œuvre s’érige le pêle-mêle, la multiplicité fugace de formes modestes vouées à disparaître pour redevenir poussière.


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Revue LECHASSIS #4 - Rubrique Perspective - Printemps / Été 2018

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